Ça réchauffe

07 > 09 NOVEMBRE 2024
IMMS - FRICHE LA BELLE DE MAI

PROJETS DE RECHERCHE

Pendant la dernière année de leur cursus les futurs comédiens ont la possibilité de travailler sur un projet de recherche. Chaque responsable de projet retenu doit constituer une distribution avec les autres comédiens de sa promotion, l’école apportant un soutien technique à l’opération. Une esquisse de ce travail est présentée au bout de trois semaines de répétitions. Il ne s’agit pas de mise en scène mais plus d’une expérimentation destinée à placer l’acteur face à son obligation de construction et de proposition ; elle vise à conforter l’autonomie et la responsabilisation de chacun des partenaires de ces projets.
Didier Abadie


ÇA RÉCHAUFFE
VARIATION SUR HAMLET-MACHINE

Texte de Heiner Müller
Un projet de recherche de Maya Lopez - Ensemble 31
Avec 4 apprenti.es/comédien.nes de l'Ensemble 31 : Barbara Chaulet, Jules Dupont, Brice Magdinier, Arron Mata

Création lumière Loane Mathey et avec la participation d'Arma lux.


Les neuf textes qui composent ce recueil permettent de retracer l'itinéraire de l'auteur. Dans les années 50 (Le Père, Autoportrait deux heures du matin, Projection 1975 et Deux lettres), il traite de problèmes rencontrés par l'édification du socialisme en R.D.A. À partir de 1961,il s'attache à redécouvrir le passé de l'Allemagne, ce qui le conduit à se tourner vers la mythologie grecque (Horace, 1968), puis à s'engager dans des recherches tout à fait originales, de Mauser (1970) à Hamlet-machine (1977) en passant par Adieu à la pièce didactique et Avis de décès


NOTE D'INTENTION

Au départ, il y a l’envie personnelle de me cogner à Heiner Müller, un auteur qui me provoque autant de fascination (poétique) qu’une forme de désarroi intellectuel tant ses écrits me semblent pétris de références littéraires ou historico-politiques, et qui m’a ainsi souvent créé des lectures aux saveurs paradoxales.

La fascination et le défi l’emportant, j’ai pris goût à me replonger dans Hamlet-machine, une pièce devenue un classique du théâtre contemporain et un emblème d’un post-modernisme théâtral. Écrite en 1977, la pièce s’ouvre sur les ruines de l’Europe et fait état d’un contexte de désillusion des idéaux communistes dans lequel un interprète d’Hamlet tranche la tête de Marx, Lénine et Mao après avoir fait vœu de devenir une machine pour ne plus rien sentir et ne plus rien penser (s’extraire de la douleur du monde). C’est une succession de fragments dans lesquels apparaissent des personnages de la pièce Hamlet de Shakespeare (comme Ophélie ou Hamlet) qui ne cessent de se désigner comme des personnages et qui paraissent rencontrer le chaos du monde contemporain. C’est en cela une pièce qui s’auto met en pièces, qui annule d’emblée les notions de fable et de personnages puisqu’elle vise au contraire à montrer la déroute de l’humanité suite à l’horreur organisée de la Deuxième Guerre mondiale. Les différents espaces sont des lieux dévastés, parfois par les personnages-interprètes mêmes, et la pièce se clôt dans un « abysse » où Ophélie devenue Électre « reprend le monde » auquel elle a donné naissance. Deux hommes l’emballent pendant ce temps dans un emballage blanc. Aussi, le contexte d’écriture est d’autant plus important que la pièce se réfère également au contexte de la Guerre froide et aux propres paradoxes de Heiner Müller, qui a du succès à l’Ouest tout en faisant le choix de rester à l’Est, et qui inscrit dans sa pièce toute une réflexion souterraine autour de la peur de l’engloutissement par le capitalisme.

Que faire alors de ce matériau textuel apparemment si ancré dans son époque d’écriture ? Sans du tout tomber dans des parallèles historiques, j’ai tenté d’imaginer un dispositif qui ne nous fasse pas « jouer Müller », mais -pour reprendre les mots de Kantor- « jouer avec » Müller, et que de ce mouvement puisse éventuellement naître un dialogue d’époque à époque. En somme, je me permets de reprendre le mouvement qu’a eu Müller en s’emparant du matériau shakespearien quand il écrit à propos de sa lecture d’Hamlet : « Je devinais plus que je ne comprenais, mais c’est en sautant qu’on expérimente, pas en marchant » ; mouvement qui est aussi celui de mesurer la différence entre l’époque de Shakespeare et la sienne. Or, c’est précisément ce point-là qui m’intéresse : aujourd’hui, c’est comme si nous parlions depuis le monde cauchemardé par Heiner Müller, où le capitalisme est une réalité qui régit les politiques mondiales et s’est immiscé dans l’intime. Sauter à pieds joints dans Hamlet-machine c’est alors forcément se poser la question de cette réalité-là, c’est aussi la regarder en questionnant notre pouvoir d’action dessus, la pièce travaillant par la négative la possibilité d’une révolution.

Aux débuts de cette recherche est sorti le film de Thomas Cailley « Le règne animal », qui a été déterminant pour trouver un cadre de jeu. Outre le miroir de mots (Müller parlant du « règne animal de la vie politique » en analysant l’œuvre de Shakespeare), l’intérêt du film est de dépasser le genre apocalyptique pour révéler la nécessité et la possibilité de l’adaptation de l’humanité à ses propres mues (en l’occurrence, à la transformation en animal, en créature). Or, suivant cette piste et une intuition, j’ai proposé dès le début du travail au trio formé par Barbara, Jules et Brice, des improvisations dans lesquelles ils sont des singes. De séance en séance, nous avons établi un petit rituel d’entrée dans le travail : dès le début, les comédiens s’échauffent non en tant qu’humain, mais en tant que singes. Nous avons observé que cela induisait un rapport au toucher entre eux différent, absolument pas policé par des règles sociales, ceci créant peu à peu un écho à la question de la déshumanisation présente dans la pièce, de l’échec des sociétés à se bâtir sans tomber dans l’auto-anéantissement. Le singe charrie aussi tout un imaginaire de pré-humanité (même si, scientifiquement ce n’est pas tout à fait vrai..) autant qu’il a souvent servi de référent pour penser la survie postapocalyptique (La planète des singes, 1963). Pour entrer dans Hamlet-machine, donc, il paraissait nécessaire de travailler le concept d’humanité, de le prendre à la racine, voire de le faire disparaître et apparaître pour en mesurer le poids, et l’entrée par les singes a créé une brèche pour permettre cette entrée.

Nous proposons ainsi une « variation » - au sens musical : nous composons pour bouleverser le rythme ou l’harmonie d’un thème qui est ici la pièce – et tâchons d’épouser la nécessaire fragmentation esthétique du travail de Müller. Avec Loane Mathey (à la création lumière) et Arma Lux (qui construit certains éléments de décor), nous tâchons d’organiser les principes chaotiques et disparates de cette recherche, pour placer le spectateur face au spectacle de l’éclatement, du déchirement des représentations.

Maya Lopez


PRÉSENTATIONS
Jeudi 07 novembre 2024 - 20h30
Vendredi 08 novembre 2024 - 20h30
Samedi 09 novembre 2024 - 18h30

Lieu
IMMS - FRICHE LA BELLE DE MAI

Gratuit sur réservation
Tél : 04 95 04 95 78
contact13@eracm.fr